Maxi-Race 2015

Publié le 1 Juin 2015

Chapitre 14 : Maxi-Mat, plie mais ne rompt pas -------------------------

De retour d’Annecy, j’ai pris la soirée de repos et mon dimanche, avant d’entamer le récit de cette Maxi-Race. Pour autant, je m’y mets, car plus les heures passent, plus les souvenirs pénibles sur le moment (pendant la course) s’édulcorent et perdent leur caractère profond.

Encore un récit ?

Oui, car tout d’abord j’en ai besoin. Pour mettre sur le papier ce que j’ai éprouvé, pour y revenir dans quelques mois, quelques années. Et j’espère pour certains d’entre vous, qui peuvent ressentir, toucher du doigt ce qu’il s’est passé pour moi dans cet événement marquant.

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Fin mars, je suis rentré du Trail des Piqueurs, qui s’est éminemment bien déroulé, avec de très bonnes sensations.

Début avril, je ressors mon VTT pour compléter la préparation à pied, et réduire les traumatismes des sorties trails.

Pour la préparation spécifique de la Maxi-Race, pas de plan spécifique. Seulement les bases. On (papa et moi) a essayé d’augmenter progressivement la charge d’entrainement, en faisant 4 sorties par semaine, dont une de fractionné (vitesse) et une longue (plus de 2h30).

C’est donc une succession de sorties trails, route et VTT, durant ce mois d’avril. J’en retiens 2 sorties marquantes :

- Lundi 13 avril : je pars de Clermont pour rallier l’île d’Oléron. Je veux en effet y faire une halte (+une sortie longue) avant d’aller voir un ami Olivier à Niort. Je pose la voiture à St Pierre d’Oléron, et c’est parti pour rallier la forêt des Saumonards au N-E, puis je longe la côté jusqu’à St Pierre (où je connais bien un hôtel « Le Neptune ». J’y suis venu 7 ou 8 ans dans ma jeunesse, l’été, avec mes parents et mes frères). De très bons souvenirs à raviver, également à la pointe Nord de l’île, où je commande une gaufre au caramel beurre salé en guise de ravito après 20km. Délicieuse comme par le passé. Le retour est plus pénible, et des signes de fatigue s’installent rapidement au 25e km, avant la plage des Huttes. Réduisant la foulée, je rallie Chaucre par la route, puis St Pierre pour un total de 33km pour 3h30 de course, en plein soleil. Je suis cuit. Une soirée de Couchsurfing bien sympa chez une famille du coin me fera assez vite récupérer.

Je file donc à Niort le lendemain matin et suis accueilli tel un prince par Olivier, les bières tout juste sorties du frigo. Ca fait presque 3 ans qu’on ne s’est pas vu (même si on se file des nouvelles régulièrement), et c’est comme si on ne s’était jamais quitté. Chacun raconte son parcours et la complicité est instantanément retrouvée. Le déjeuner pris, on file profiter de l’océan à la Tranche s/ Mer. Le soir, courses faites sur le retour (accessoirement refoulé une première fois par un vigile du Leclerc de Luçon pour cause de nudité pédestre), l’alcool recoule à flots, et ce sera plus ou moins la même à tous les repas. Bonjour (ou plutôt au revoir à) la diététique et le respect hépatique !! Bref. J’suis pas non plus là pour manger des graines, et ça fait toujours du bien de lâcher un peu la bride, malgré les remords inéluctables de la semaine suivante, où l’on ne se reconnait plus, avec ce « bide » qui a poussé sans prévenir. En tout cas, on s’est bien marré, notamment sur la petite sortie à pied sur les pilotis du marais poitevin à se tirer la bourre en plein cagnard. Et j’en repars avec une image sympa de cette région qui m’était jusqu’alors totalement inconnue.

- Retour à Clermont, où l’on se fait (papa et moi) une grosse sortie sur les volcans le 26, à crapahuter sur chacun pour aboutir à 38km en 5h45. Les sensations sont plutôt bonnes malgré un léger manque d’eau au milieu de la sortie (les sources et les fontaines sont rares dans le secteur), et un gros orage sur la fin, juste pour nous tremper des pieds à la tête.

3 petites sorties VTT plus loin, et le mois de mai pointe le bout de son nez. A l’instar du mois précédent, 2 sorties ont été marquantes.

- Je vous en avais parlé la dernière fois, nous voulions reconnaitre le parcours de la Maxi-Race. Pour moi, comme pour Laurent, ça semblait indispensable sur un parcours long et exigeant comme celui-ci. On s’est rendu compte le jour de la course que ce n’était pas l’avis de tous les coureurs, les 2/3 semblant découvrir le parcours au fur et à mesure de la journée. Nous sommes donc partis à Annecy les 6 et 7 mai, pour courir les 85km sur 2 jours, moite-moite avec nuit à Doussard chez une amie entre les 2 étapes. Je me charge de l’orientation, en lisant la carte en simultané, ce qui occasionne quelques mini-pauses, mais peu d’erreurs heureusement.

Je résume rapidement nos constats :

Une montée au Semnoz de près de 2h30. Longue mais roulante (pas très pentue), et en début de journée, donc sans trop de fatigue. Une descente correcte, mais où il faut rester vigilant. St Eustache, puis la montée au Col de la Cochette en 3 fois est pentue et grasse par endroits. Une fois, au col, rien n’est gagné, au contraire, la crête remonte entre de gros rochers, où chaque pas nécessite une grande attention. Puis, la descente est du même acabit : des rochers partout, accompagnés de leurs feuilles glissantes, et tout ça très pentu ! Interminable désescalade avec le lac en toile de fond au travers des arbres, jusqu’à contourner le massif et arriver dans un hameau où la fontaine est la bienvenue. La suite est roulante sur une seconde crête surplombant Doussard, et sa descente assez courte pour rallier la Thuile, puis du plat jusqu’à Doussard.

2e jour : Je ne suis pas dans mon assiette dans l’ascension du col de la Forclaz, au milieu de la forêt. Une digestion difficile du petit déj me semble la cause, mais c’est surtout le pourcentage (pas assez conséquent qui ne me va pas). Entre 5 et 8%, je ne suis pas efficace : plus plat, je peux trottiner ; plus pentu, je peux marcher en cadence en poussant avec mes mains sur les quadri. Le père, lui, est comme un « coq en pattes ». On bascule en haut, et la sortie de la forêt marque le retour de ma forme. On serpente de part et d’autre du ruisseau après Montmin, et je fais mon « numéro » dans les alpages jusqu’au Chalet de l’Aulp. Le dos plié, en appui sur mes cuisses, j’enchaine les pas longs dans le pentu et ça fait une grosse différence avec mon père qui marche, le dos droit, à la seule force des jambes. La fin de l’ascension jusqu’au Roc Lancrenaz est similaire, j’aime ces gros pourcentages !! La descente nous semble longue et fastidieuse, mais pas trop technique.

A Villards Dessus, on recharge en eau au gîte et les 3 bosses nécessaires pour redescendre sur Menthon passent assez facilement. Vient alors la dernière grosse ascension, en deux parties. Il faut passer derrière le château puis monter les épingles dans les lotissements sous le Mont Baron, puis une longue diagonale montante jusqu’à contourner le massif pour rejoindre le col des Contrebandiers nous semble interminable. Mention spéciale à une petite bifurcation du GR au milieu pour un sentier gras, qui descend, puis remonte très violemment sur 300m. Un calvaire !! Au col à 1100m, il reste 200m à prendre rapidement pour émerger de la forêt et contempler une magnifique vue sur le lac en haut du Mont Baron. La descente est longue et sa dernière partie en épingles serrées assez pentue. Enfin arrivé au Petit Port à Annecy-le-Vieux, Jean-Max nous récupère et on lui confie nos impressions.

Parcours ressenti comme très exigeant, des passages techniques, et entre 7 et 8h chaque jour. Le calcul est vite fait. Le jour de la course, en partant à 5h, on espère arriver entre 20 et 22h, avant la nuit ce serait bien !

Je me dis alors qu’il était vraiment judicieux de reconnaitre ce tracé, tandis que Laurent me confie qu’il lui faut digérer un peu ces 2 sorties qu’il a trouvées particulièrement pénibles, au point de douter de faire l’épreuve. Quelques jours plus tard, il a encaissé les difficultés du parcours et cette course nous apparait comme un nouveau challenge à relever, bien plus exigeant encore qu’un Ironman.

-Enfin, une dernière sortie significative marquera le pic de charge et ainsi le point d’orgue de la préparation (qui déclinera ensuite en distance et en temps) sur un parcours de 2,3km…

Oui, 2,3km.

Certains auvergnats connaissent bien ce chemin. Il part du Col de Ceyssat et s’achève au sommet du Puy de Dôme. Une montée sèche pour environ 350mD+. Une idée de Laurent : « Tiens, si on allait se monter 5 ou 6 fois les Muletiers ? ». Moi, j’étais la veille et le matin à Lyon pour mes épreuves orales et sportives de gendarmerie. Je pars à midi de Lyon et nous voilà vers 15h, garés, en tenue. Et une première ascension, où chacun prend son rythme. Je me sens bien, bien que je vienne juste d’avaler un sandwich en guise de déjeuner. Je monte à la sensation, alternant trottiner et marcher en appui sur le bas de quadriceps. Ça va bien, le chrono le confirme. La dernière grosse épingle à droite, ultra pentue (35-40% à l’intérieur) me laisse passer en 14’30’’. J’ai mon record personnel en tête (17’50’’) et le crois battable à ce moment-là. Je donne tout (alors qu’il va falloir redescendre et remonter encore 4 ou 5 fois) et court, le cœur dans la gorge, sur les dernières dizaines de mètres. Le chrono se fige en haut de la dernière marche en pierre de Volvic : 17’40’’ !! Yes ! Laurent arrive lui en 20 ou 21’, tranquille. S’en suivent une 2e, en une petite vingtaine de minutes, puis en 21’ pour la 3e. Laurent à quelques encablures. Puis, les sensations déclinent et les efforts des montées précédentes se font ressentir. Je paie l’addition. Je décide de faire la 4e avec mon père, allure plus cool. Les 23 minutes sont interminables et je me force à entamer la 5e qui l’est un peu moins, mais la 5e descente me convainc de rester en bas à faire la sieste, tandis que Laurent en fait un 6e. Il ne manque pas de me narguer et une grosse demi-heure plus tard à faire la sieste au soleil, il arrive et on redescend sur Clermont pour une bonne douche et un barbeuc chez une amie, journaliste à La Montagne. Nickel. Et toujours cet alcool devant lequel nous sommes faibles, et qui perturbera notre nuit.

Une dernière sortie longue (2h30) sur les hauteurs de Dallet, Lempdes et Cournon le 17 mai. Et on réduit progressivement les sorties. La dernière (1h20) se fera à J – 3 sur les boires d’Allier entre Abrest et St Yorre.

Et le dernier week-end de Mai se profile.

Nous partons Jeudi matin pour Chambéry, où nous faisons une halte pour pique-niquer et mini-golfer à la plage de Bourget-du-Lac, avec Nathalie, une amie présidente du club de triathlon de Chambéry. Le déjeuner est copieux, Laurent a encore prévu large, une grosse salade de riz agrémentée de : maïs, tomates, poivrons, anchois, olives, comté, et mimolette… tout ça pour pas loin d’1kg au total. A 3. Oui, oui.

Pas grave, elle se finit le soir chez Jean-Max, à Metz-Tessy, qui nous accueille impeccablement comme d’habitude pour 3 nuits : jeudi, vendredi d’avant-course et samedi d’après-course. Le vendredi, c’est encore repos ! A force de rien faire, on en vient à douter de n’être pas assez bien préparé, tout en sachant qu’il est nécessaire de bien récupérer la semaine avant une grosse échéance.

A midi, on file au village des exposants, on récupère nos dossards sans trop attendre, et par un quiproquo dont on a le secret, on gagne une visière Maxi-Race très jolie, qui était normalement la récompense de la course sur 2 jours (XL race), alors que nous, avons en cadeau une vulgaire ceinture ridicule et inutile… On est donc bien contents. Selfies sous l’arche d’arrivée. Et on rentre déjeuner en passant faire les courses pour nos traditionnels croque-monsieur, à manger sur la course en guise d’encas salés et consistants, tranchant avec les gels et produits sucrés, lassant à la longue.

Aprem devant Roland Garros et derniers préparatifs des sacs.

Couchés vers 22h30, une bonne heure à cogiter du lendemain, à se faire le film de la course, imaginer les scenarii, douter, se voir sur la ligne, puis s’endormir. Et rêver. Du départ. De la course. Ses passages difficiles. Les autres coureurs. Les supporters. L’ambiance. La famille. Tous ceux à qui on a promis d’être sur la ligne de départ, de tout donner. On espère ne pas les décevoir et être capable de rallier l’arrivée. On verra.

La nuit est bonne, pleine de rêves. L'ultime est écourté. Brutalement.

« Allez Mathieu, debout » me lance mon père. Il fait noir. Je regarde ma montre : 3h32. Aïe !

Je me lève lentement, et pars déjeuner.

Samedi 30 mai. Jour J.

Pti déj au pain, beurre, confitures. Et même un peu de sirop d’érable. Jus de fruit. Et habillage. Gourdes remplies, dossard épinglé. Voiture. Nuit. Puis des frontales. Des coureurs. Le village endormi. On avance, s’insère dans notre sas de départ. Afin de ne pas être trop gêné au départ, puis dans le début d’ascension du Semnoz, on se met dans les « moins de 15h30 ». A peu près au milieu du peloton des 2000 coureurs présents. Petite attente. Puis le départ. D’une longue journée. Le bleu du ciel s’éclaircit progressivement sur la longue promenade de bord du lac. Le Paquier. Puis début de la montée. Ça bouchonne un peu. Se débloque. Rebouche. Le chemin des crêtes se rétrécit progressivement jusqu’à devenir monotrace (single). La montée se fait à un rythme correct. J’aperçois alors un petit drapeau breton sur le camelback d’un coureur devant moi. Ils courent en duo eux aussi. Deux bretons ? J’engage la conversation : « Bonjour. Vous venez de Bretagne ? » « -Oui. » « Ah, ok. Dites-moi. Vous vous êtes préparés comment ? ». Le mec me répond, le plus naturellement du monde : « Sur le plat. On a essayé de faire des petites bosses mais… » « Ah ok. » (Premier étonnement pour moi) « Et, vous avez reconnu le parcours ? » « Non. » « Ok. Ben bon courage, parce que ça fait que monter et descendre ». (Là, je suis abasourdi. Les mecs ont pas fait de travail en côte et ne savent pas ce qui les attend. Soit.) Je souris à mon père qui sait pourquoi je me marre intérieurement.

On finit la montée tranquillement, doublé, même enrhumé par le passage des premiers hommes en relais (partis à 6h), ils nous doublent après 2h28 à mon chrono, soit 1h28 pour eux^^. Ok. Le ravito en haut est bondé, et peu garni. Je pique un carreau de chocolat à la volée et entame la descente en prévenant Laurent que je vais m’arrêter « poser une pêche » dans la descente. En effet, je ne suis pas bien gastriquement depuis 1h, le ventre gonflé. Je me pose dans un coin, à moitié caché, mais bien installé. Un bout de fesse posé sur un rocher relativement plat, je suis bien installé. J’ai un reste de rouleau de PQ, et ça se passe relativement comme je veux. Je reprends la descente après 2 ou 3 min. Papa est passé bien sûr, en m’adressant un petit : « J’t’ai vu ». Je le rattrape gentiment sur la fin de la descente, et ce retour sur le plat marque mon 1er « passage à vide ». J’entends par là une période plus ou moins longue où rien ne va. Les sensations sont mauvaises et les idées noires. Je n’arrive pas à relancer sur le plat. Des premières douleurs sous les pieds. Les barres et gels commencent à me dégoûter. C’est pas bon signe après seulement 20km. Et c’est un cercle vicieux, avec des voix qui affluent et qui appuient là où ça fait mal, pour faire émerger de gros doutes : « Alors, t’es pas bien ? » « Hein ? t’as voulu courir cette course. Maintenant faut assumer » « Oué. Et t’es qu’à 20km. Tu y arriveras jamais si tu es déjà mal ici ».

Il faut réussir à penser à autre chose. Aux amis qui suivent peut-être notre avancée en direct. Au prochain ravito, à la prochaine récompense. A St Eustache, ça va mieux. La rampe d’eau, où l’on recharge les gourdes. Les spectateurs qui boostent. Et ça repart. On revoit du positif.

Le début de la montée est gras. Puis on bascule une première fois. 2e partie, où je vais bien dans le pentu. Je double et fais mon numéro dans un passage très boueux. En haut j’attends Laurent et dans la petite descente, je vois une tente, plantée sur le bord du chemin, à mille lieux de penser que ce soit quelqu’un que je connaisse. Et ben si ! C’est J.O. Julien, un ami à moi. Et sa charmante copine Mylène. Ils sont là à encourager. Ils ont dormi là (?). Oui. Je lui demande des news d’un autre Julien, Rancon. Entraineur d’athlé à Chambéry, et membre de l’équipe de France de trail, il vise un top 10 voire mieux. Julien me dit qu’il est passé 7e à mi-course à Doussard. Je suis content. Au final, il terminera 19e en 9h21 (le vainqueur lui termine en 8h15) après des soucis gastriques et une forme diminuée sur la fin du parcours.

On ne s’éternise pas et finissons la descente pour attaquer la dernière partie pentue jusqu’au col de la Cochette. Je mange mon croque-monsieur, en respirant entre les mastications. Puis, je me replie sur mes quadri, et refait le show, croquant les concurrents un à un et retrouvant une petite blonde que j’avais repéré auparavant. On se motive comme on peut !! Puis, Laurent me rejoignant, je suis son rythme qui très vite, ne me convient pas. Je file devant tout en sachant que je dois me ré-arrêter là-haut (soucis gastriques). 2e pause sur le trône, de bois cette fois. Mon père repasse devant, et je reprends 5 ou 6 mecs derrière lui sur la crête.

Descente longue. Quasi impossible de doubler. Il faut accepter le rythme lent des moins casse-cous. Il faut être patient. Positiver. En vain. La douleur sous mes pieds s’intensifient à mesure qu’il faut freiner son poids à chaque pas, tant la pente est forte. Si bien que mon petit orteil gauche me fait souffrir le martyr. Je songe à virer ma chaussure et changer de chaussette gauche (j’en ai une seconde paire dans mon sac. Plus fine). Peut-être mon pied est-il trop serré. Et je sais que ma taille chez Salomon en chaussures de trail en 45 1/3 et pourtant j’ai fait la prépa avec mes Fellcross en 44 2/3. Je sais qu’elles sont un poil petites, mais tellement jolies^^. Bref, je me fustige intérieurement de ne pas avoir acheté une autre paire, à ma vraie taille. C’est mon 2e « passager noir ».

Il s’estompe en fin de descente, en quittant la forêt, le hameau des Maison en contrebas, et les cloches, les supporters au loin. La foulée s’agrandit, le sourire se dessine, et les encouragements sont salvateurs. Je développe sur le plat, comme si la douleur était partie faire une pause. Et vient le ravito. Rechargement des gourdes.

La fin de la première moitié de course est roulante. Juste une pause avant de redescendre sur Doussard, où Laurent doit satisfaire un besoin naturel dans un coin. On descend, chacun son rythme, et les 2km de plat jusqu’au gymnase se passent super bien. Ils m’avaient paru longs pendant la reco, mais là, ça déroule. Je suis bien, et de nouveau les spectateurs qui voient que je suis 1 ou 2km/h plus vite et qui applaudissent, félicitent. Les enfants qui tendent leur main, dans laquelle je tape.

Je pointe au gymnase en 7 petites heures. A l’intérieur, il fait une chaleur dingue. Je ressors attendre Laurent, un peu statique. On échange nos sensations, passent aux toilettes tous les deux. Ravitaillent.

Et on repart, après une quinzaine de minutes pour lui, 20 pour moi. C’est plat jusqu’à Verthier, ça va. Et la montée jusqu’au col de la Forclaz attaque. Et de nouveau, le pourcentage ne me convient pas. Presque 1h de montée à rester concentré pour garder un pas le plus dynamique possible, ou trottiner quand c’est possible, au lieu de piétiner laborieusement. La dernière diagonale s’éternise, Laurent est bien, moi je vois tout en noir. 3e passager noir. Obscur. Le moral est au plus bas. 50km au compteur, soit 35 restants. Et plus de jus. Ou en tout cas l’impression de ne plus en avoir. Et l’envie d’arrêter qui se pointe. Simplement. « Et si je stoppais ? Stopper tout. Point. La fin de ma souffrance ».

Pas faim. Sensation bizarre de n’avoir dans le sac que des aliments qui me dégoutent. Ni le sucré. Ni le salé. On bascule en haut. J’ai envie de m’allonger mais les spectateurs accueillent si bien, et peu de place dans l’herbe pour se poser. J’entame la descente, ne pouvant pas suivre mon père qui n’est pourtant pas un grand descendeur. J’attaque un croque-monsieur. Aucun goût. Ou un vague goût de carton. Je mâche. Chaque bouchée dure de longues dizaines de secondes, alors que d’habitude, je dévore très rapidement mes repas. Papa m’incite à continuer. Je recharge mes gourdes à Montmin et me pose dans l’herbe. Allongé. Las. Mais très vite, je me dis que je ne peux pas arrêter là.

Je me parle à moi-même : « Je suis venu chercher mes limites. J’y suis. La frontière du supportable est proche. C’est ce que je voulais après tout. Je voulais une épreuve di-ffi-cile. Où je me dépasse. C’est là Mathieu. C’est là qu’il faut être fort. Pense à tous ceux qui te suivent. Tu vas sortir quoi comme excuses. Fatigue. Mal de pieds. Soucis gastriques. Tout le monde s’en fout. On retiendra que tu n’es pas arrivé au bout de ton épreuve, que tu n’as pas réalisé ton challenge…

Et ton père. Tu vas pas le laisser comme ça. Il a l’air bien, mais sans toi, la fin de sa course aura « moins de saveur ». Il sera triste pour toi. 8h30 de course ? C’est ta limite ? C’est tout ce dont tu es capable ? Et qui sait. Peut-être seras-tu mieux dans les alpages, comme pendant la reco. Dans le plus pentu. »

3-4min s’écoulent, les autres coureurs repartent, pleins d’espoir. Et il faut les imiter. C’est reparti. Je ne bâcherais pas maintenant. Allez. C’est plat dans les champs, on recourt. On serpente autour du ruisseau, ça va pas très bien, mais il faut continuer. Laurent part inéluctablement. Sortie de forêt, les cloches retentissent. Et qui dit cloches dit spectateurs. Encouragements. Ça revient. Les alpages, les sommets en vue, le vert. La pente augmente, et je me force à reprendre mon rythme de début de course, ma position pliée tranchant avec la droiture des autres marcheurs. Je passe mon père, lui dit que je l’attends en haut. Et c’est reparti pour un show. Peut-être le dernier. Profite. Régale-toi. Positive bordel !!! Et je double, et je double, en alternant marche courbée rapide et récupération dos droit. Nickel. Dernière portion plus plate où je réduis volontairement la voilure pour que Laurent revienne. On bascule, on file vers le col des Nantets, mais plus d’eau et le ravito que j’espérais n’est qu’un mirage. Il n’y en a pas. Le prochain vrai est 10km plus loin, à Villars dessus. Dans 1h15 au moins. Sous le Roc Lancrenaz, je m’arrête au refuge, où la gérante nous cède un peu d’eau. Cool. Ça aurait été une vraie tuile de se déshydrater.

Et je refais mon numéro dans la montée du Roc, alpages, puis rochers à escalader. Je suis super bien. Je creuse un écart conséquent sur Laurent, ce qui me permet de faire une pause en haut sur le plateau, dans l’herbe, jambes en hauteur. 4min environ, puis on repart.

Je fais la descente encore à mon rythme et me pose au ravito eau à Villards Dessus, gourdes remplies, allongé. Ici, j’ai retrouvé l’appétit. Tout ce que j’ai emporté est susceptible de me faire plaisir. Je m’enfile donc un croque et une barre aux noisettes. Laurent arrive après 5-6min, ravitaille et on file avaler les 3 petites bosses avant de redescendre sur le ravito solide de Menthon St Bernard. Et c’est en un peu plus de 12h de course que je débarque au gymnase. Les pensées noires du début de journée sont parties. Je dois l’avouer, j’ai pensé plusieurs fois à abandonner à Menthon et rentrer à Annecy en stop. Mais à ce moment-là, cela me parait ridicule de rentrer en disant à tout le monde : « Ba, j’ai fait 70km, c’est bien déjà ? C’était super dur ». Laurent arrive 5min après moi, on se pose un petit quart d’heure en mangeant, rechargeant en eau. Et ça repart : 12h20 de course. Moins de 15h, ça risque d’être dur. Pas grave. Sandra (la femme de Jean-Max) est là pour nous féliciter, comme à Doussard.

On remonte pour longer le château, puis on serpente dans les lotissements et je suis cramé. Le même pourcentage pas assez pentu. Je n’avance pas. Collé. Les jambes sont lourdes, impuissantes, pas de fréquence. J’essaie de trottiner. Pas bien mieux. On recharge une ultime fois en eau à une fontaine qu’on avait repérée pendant la reco, avant de s’engouffrer dans le chemin, début de l’ascension. Là, assez vite, la pente augmente. Yes. Je suis à l’aise et mon père me glisse : « Bon, ba, à tout à l’heure Mathieu ». Je lui réponds que ce n’est pas sûr, mais très vite, la différence est significative. J’avance bien. On bifurque du GR et je me rappelle de ce chemin piégeux. Ca redescend. Pour mieux remonter. Un passage de ruisseau me mouille entièrement le pied droit. Et la remontée est très engagée. Ultra pentue. Pas de bâtons. Pas grave. Je m’appuie sur mes cuisses et joue mon dernier récital, fait le show. On rejoint le GR, et c’est encore long pour contourner le massif et basculer vers la route. Je suis moins bien. Je me pose 1min en haut. Et repars. Une fois sur la route, le pourcentage est encore traitre, et je ne parviens pas à mettre le rythme que je veux. Alors je finis par trottiner après avoir avalé une barre qui me fait plaisir. La fin d’ascension est pentue comme j’aime, mais je ne parviens plus à avoir un bon tempo. Comme si les 5200m de déniv positif étaient ma barrière journalière. Je gère ma montée et bascule au Mont Baron. La vue est superbe. Je suis un peu cuit. Mais la dernière descente est proche. Un bénévole me file un peu d’eau et je me couche à nouveau en attendant Laurent. Il arrive après 4-5min encore, on fait la crête ensemble, qui remonte jusqu’au Mont Veyrier (bifurcation qu’on avait loupé lors de la reco). Les rochers sont imposants et les pas assurés. Des bénévoles passent notre puce au transpondeur, marquant le dernier checkpoint.

Je me dis que mes « suiveurs » sont rassurés. Je suis en haut du dernier sommet. C’est fait. Le bonheur commence à pointer le bout de son nez. Il faut néanmoins rester concentré pour ne pas se blesser et endurer encore un peu les douleurs, notamment plantaires. Je m’enfile un bout de pâte d’amande. Délicieux. Et entame ma descente, délaissant encore mon père qui veut la faire en marchant. Ok. Je descends à bon rythme pour rejoindre le morceau de sentier que je connais. Un bénévole bien sympa nous félicite, et je lui confie mon bonheur, la fin se profilant, après une grosse journée. La dernière partie, très pente en épingle, est longue. On voit le lac en contrebas, mais très bas, constatant à chaque virage qu’il reste encore beaucoup à descendre. Mais je suis bien, je file, rebondit entre les cailloux, les racines, doublant quelques coureurs crevés malgré des douleurs conséquentes sous les pieds. Les ultimes épingles semblent faciles, lorsque se profilent les premiers toits de maisons. La toute fin de la descente est très caillouteuse, je laisse passer une coureuse très jolie, que je me force à suivre un peu. Et on débarque sur le bord du lac, au « Petit Port » à Annecy-le-Vieux. Il reste un gros kilomètre, mais déjà, le sourire est là.

Inversement proportionnel à mes douleurs plantaires qui m’empêchent de développer ma foulée naturel sur l’avant-pied, une liesse s’empare de moi. On passe sur les pilotis, les gens piquent-niquent au bord du lac. Ils semblent impressionnés, épatés par des coureurs qui luttent depuis plus de 15h, plus ou moins dans un sale état. Moi, je vais bien, je l’ai fait. Jean-Max m’incite à accélérer, mais je ne peux pas vraiment, et je ne suis pas à 10 secondes près.

Malgré tout, je m’applique, sourit à la foule et essaie de ne pas me faire doubler. Le soutien des supporters m’émeut. Une mini boule au ventre, début d’émotion. Puis, plus rien. Un bénévole annonce plus que 400m, mais je sais qu’il reste au moins 600. Et j’ai raison, il faut contourner le village des exposants, et la dernière ligne droite est là, l’arche à l’horizon. J‘allonge la foulée pour plaire aux spectateurs. Je donne tout, comme j’avais promis. Crac ! L’ampoule sous mon pied gauche s’ouvre et l’éclair de douleur me fait boiter. Il me reste vingt foulées à faire. Les dix appuis pieds gauches sont hasardeux, le pied à l’oblique sur l’extérieur pour atténuer la douleur.

L’arche. Et la délivrance. Saut de joie, poings serrés. Je suis content, mais pas fou de bonheur. Peut-être dû à la fatigue. Ou au sentiment mitigé à cause des passages à vide, des doutes, des incertitudes, qui m’étaient jusque-là inconnus. Je me pose au bord du lac. Allongé les jambes en hauteur. Pieds nus. Repos. Respirations profondes. Un grand défi s’achève. Et mon père ? Il l’a fait aussi. Lui qui doutait après la reconnaissance du parcours. Il a été plutôt facile toute la journée. Un peu plus lent, mais plus serein. Je me relève pour me poster devant la ligne pour le voir arriver. 6-7min s’écoulent. Je vois débarquer une fille (dame) en short rose qu’on aura côtoyé toute la journée. Et Laurent, 20 mètres derrière. Son petit rythme, sa petite foulée rasante. Il passe l’arche, et grande accolade familiale. Mais pas de larmes cette fois-ci. On file boire un coup au ravito et manger un bout. On sort ensuite du village où l’on rejoint Jean-Max et des couples d’amis à lui, qui viendront ensuite partager la soirée avec nous à Metz-Tessy.

Passées les douleurs plantaires, la douche est géniale, même si les jambes sont dures et les articulations très rouillées. Très vite, le sang reflue dans les jambes, douleur profonde, sourde mais supportable. Rester debout plus de 3-4min devient difficile, assis c’est mieux mais pas idéal. Une bonne bière. Puis une seconde m’enivre rapidement. Les salades de riz et patates sont très bonnes et changent de nos encas du jour. Ça fait du bien. On discute avec les convives de nos impressions, nos doutes. Du classement, des meilleurs temps… Il est plus de 23h30 quand la maison retrouve son calme, et prêt de minuit quand je me retrouve à l’horizontale. La nuit ne sera pas forcément bonne, avec ces reflux sanguins et ces douleurs.

Elle le fut. J’ai plutôt bien dormi.

L’essentiel est fait.

La réussite n’a pas un goût de victoire. Objectivement, j’ai réussi. Je suis venu à bout de cette course, j’ai gagné mon pari. Mais la satisfaction n’est pourtant pas totale. Entachée par ses passages obscurs, ses doutes. Qui sait si sans mon père, je n’abandonne pas ? Personne.

Moi, je ne sais pas. Je sais seulement que j’ai bien fait de rester avec lui. En comptant les moments d’attente et des ravitos solides un peu rallongés, j’aurais à peine gagné 1h. 14h30 ou 15h25 ? Quelle différence ? Qu’est-ce que ça m’aurait apporté de plus ? Je ne le saurais jamais. Et aurais-je réussi tout seul ? Ou aurais-je craqué, et il m’aurait rattrapé sur le bord du chemin (à la Forclaz par exemple) ?

Des questions sans réponse. Ce petit goût d’imparfait que je ne connais pas. En effet, à Embrun, tout avait fonctionné comme je l’espérais. J’avais en quelque sorte maitrisé mon sujet. Je n’avais pas douté. Samedi, j’ai douté.

Mais c’est aussi ce que je suis venu chercher. J’ai flirté avec mes limites. C’est ce que je voulais. Aller au plus près de la frontière entre l’acceptable et l’insurmontable. A l’image des sommets que l’on a gravi Samedi, notre mental à ses sommets, ses limites.

Et je suis fier de ne pas avoir craqué. Pas encore. Ce sera pour plus tard. Je sais qu’il y aura un jour où la barre à passer sera trop haute. Un jour où je ne serai pas assez fort, où je devrais abandonner. Déjà, cette Maxi-Race était un pari osé. Mon plus gros trail était alors un 43km en 6h43 à Faverges. Et ma plus grosse sortie rando : 10h45. 49km. 4000m D+ dans les Belledonnes (J 1). Le pari est encore réussi. Une question se profile alors ? Quel(s) objectif(s) pour la suite ?

Fin août, je cours, encore avec Laurent, l’Ironman de Vichy. Il s’agira ici d’établir un temps de référence sur un Iron plat. Dans l’idéal, batailler avec mon père, mais je pense que l’écart en vélo sera trop important, et je risque de ne pas pouvoir revenir en course à pied. La préparation sera minutieuse et j’en saurais plus au fur et à mesure de l’été.

A long terme, j’aimerais courir un 100km sur route, et faire le GR 20

A très long terme, un ultra trail plus long qui nécessitera de courir la nuit, une autre paire de manches !!

Maxi-Race 2015
Maxi-Race 2015
Maxi-Race 2015
Maxi-Race 2015

Rédigé par Mathieu Leonard

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